Mardi dernier, j’ai fait ma première maraude à Strasbourg avec l’association Ô coeur de la Rue. Dans le Dictionnaire Universel publié en 1690, le mot « maraude » est un terme assez péjoratif voire injurieux, qui se dit des "gueux, des coquins qui n'ont ni bien ni honneur, et qui sont capables de faire toutes sortes de lâchetés". Mais cette définition est très loin des maraudes du XXIème siècle et de celle à laquelle j’ai pu participer.
Je suis en avance au point de rendez-vous et je patiente une bonne vingtaine de minutes avant l’arrivée des autres bénévoles. Malgré mon écharpe et mon manteau épais, le froid hivernal a raison de moi et je regrette de ne pas être équipée d’une paire de gants et d’un bonnet. Progressivement, les maraudeurs arrivent, certains avec le coffre de leur voiture rempli de fournitures et de dons alimentaires à distribuer. Nous nous saluons respectueusement, et toutes les personnes présentes ce soir-là arborent un sourire immense et dégagent une générosité sans précédent.
La maraude commence vers 19h30, encadrée par un sympathique jeune homme d’environ 25 ans, qui nous détaille scrupuleusement les règles de sécurité de l’opération et nous rappelle la « charte du maraudeur ». Nous formons un groupe d’environ 10 personnes, avec des bénévoles aux profils très différents, âgés de 15 à 70 ans. Ensemble, nous partons à la rencontre des sans-abris et des strasbourgeois en situation précaire. Chacun d’entre nous a un rôle bien défini et je suis responsable de la distribution des produits d’hygiène.
Le circuit de la maraude est pré-défini et connu des « bénéficiaires ». Dans le quartier des Halles, nous rencontrons une dizaine de personnes à qui nous distribuons de la soupe cuisinée par des bénévoles, des sandwichs, fruits et beignets offerts par des boulangers ou restaurateurs, ou encore des produits d’hygiène qui ont été donnés à l’association. Nous fournissons aussi des couvertures ou des vêtements chauds à ceux qui en ont besoin pour passer la nuit. Et dire que me plaignais d’avoir oublié mes gants, et que je serai chez moi bien au chaud dans moins de deux heures.
Pendant notre parcours, j’ai l’occasion de rencontrer Yves*, un homme d’une quarantaine d’années qui se balade avec son vélo, un cabas et une couverture. La rue et les épreuves de la vie semblent avoir abîmé ce monsieur mais ne lui enlèvent en rien sa gentillesse et son sourire. Il accepte la soupe et le café proposés par l’une des bénévoles, mais décline gentiment les autres provisions : « Il y a des gens qui en auront plus besoin que moi » indique t-il. Très reconnaissant, il souhaite faire un geste pour nous remercier de l’aide apportée, et insiste pour jeter les déchets et emballages vides de notre chariot.
Yves est à l’image de la plupart des bénéficiaires que je rencontre ce soir : des gens discrets, humbles, qui pensent à leur prochain et n’ont aucune envie de déranger ou d’être un poids pour la société. C’est aussi le cas de Marie*, une trentenaire installée à proximité de la Place Kléber, qui passe ses nuits sur un drap de bain étendu devant une grande enseigne de luxe. Au moment de partir, nous la saluons et l’un des bénévoles s’exclame « À la semaine prochaine ! », phrase à laquelle Marie répond : « Oui, si je suis encore en vie ».
Les bénévoles de l’association quant à eux sont des gens d’une bienveillance inégalée. Ils viennent de tous les horizons et se rassemblent au service d’une même cause : la lutte contre l’isolement et la précarité. Pendant la maraude, nous nous baladons dans ces rues de Strasbourg que je connais si bien et que j’ai pourtant l’impression de redécouvrir. Je regarde les bars et les vitrines des restaurants huppés et j’ai l’impression de voir mon propre monde depuis l’autre côté. Je réalise que ces plaisirs de mon quotidien ne sont pas accessibles à tous, et je déborde tout à coup d’une reconnaissance et d’une admiration immense pour ces gens qui effectuent des actions solidaires et citoyennes, et qui ont envie d’aider.
Merci Ô coeur de la Rue pour tout ce que vous faites.
*Les prénoms ont été modifiés.
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