À 28 ans, Mehdi occupe plusieurs postes à responsabilités et jongle quotidiennement entre ses différentes « casquettes » : celle de consultant indépendant dans la transformation d’entreprise ; de père de famille ; mais également celle de Président de l’association Ô Coeur de la Rue. Passionné par l’humanitaire, il revient sur son parcours associatif et sur son engagement dans la lutte contre la précarité.
D’où vient ton intérêt pour l’humanitaire ?
Dès le début de mes études supérieures, j’ai ressenti le besoin d’aider et de m’investir pour différentes causes. J’estimais avoir des compétences qui ne pouvaient et ne devaient pas servir qu’à enrichir un employeur : des qualités de gestion ou encore une capacité à fédérer des personnes par exemple. En 2015, j’ai intégré une association qui vient en aide aux étudiants de Strasbourg et qui organise des maraudes. J’ai tout de suite été séduit par ce concept de parcours solidaire et j’ai rapidement commencé à assurer le rôle de responsable du pôle maraude. Deux ans plus tard, je me suis toutefois détaché de cette association : je souhaitais trouver une structure qui mettait réellement la maraude citoyenne au cœur de son activité.
Pourquoi avoir créé Ô Coeur de la Rue ?
J’ai longtemps recherché une association qui soit apolitique et laïque afin de mettre les maraudes citoyennes et la précarité au centre de ses préoccupations. Malheureusement, j’ai pu constater que la majeure partie des organisations avaient soit une prise de position politique, soit un caractère religieux. De plus, certaines organisations me déplaisaient car elles fonctionnaient sur un modèle de « maraude industrielle », où les bénéficiaires étaient traités comme des numéros et où la quantité l’emportait sur la qualité. Si je ne remets pas en question l’efficacité d’un tel système, qui permet de distribuer beaucoup de repas et de venir en aide à de nombreuses personnes, je n’étais pas à l’aise avec ce modèle qui manquait à mon sens d’humain et de spontanéité. Pour toutes ces raisons, j’ai eu envie de créer ma propre structure de maraudes à Strasbourg.
La création de l’association ne s’est pas faite du jour au lendemain. J’ai d’abord expérimenté plusieurs itinéraires à Strasbourg, ainsi que des jours et des horaires différents, afin de définir le meilleur parcours pour rencontrer un maximum de bénéficiaires tout en correspondant aux emplois du temps des bénévoles. J’ai aussi dû faire face à quelques difficultés notamment budgétaires : l’organisation de maraudes et la collecte de denrées se faisaient par des bénévoles, qui n’avaient pas toujours la possibilité d’obtenir des dons financiers ou en nature. À l’époque, nous n’étions pas encore liés à l’Eurométropole ou à d’autres associations.
Ce n’est qu’en octobre 2020 que j’ai pu créer officiellement l’association Ô Coeur de la Rue, avec l’aide précieuse de Mohamed, qui a depuis dû quitter ses fonctions, ainsi que celle d’Anissa, très ambitieuse et toujours aussi impliquée dans la vie associative. Cette bannière unique simplifie nos démarches et nous permet d’être représentés auprès des donateurs, des partenaires, de la ville… et bien sûr d’être couverts au niveau de la justice et des assurances.
Quelle est la mission de l’association ?
Notre objectif ultime est de « nourrir le corps et l’esprit des plus démunis ». Nous réalisons des maraudes humaines à la hauteur de nos capacités, en prenant garde à fournir un service sur-mesure, discuter avec les gens, et prendre note de leurs besoins pour y répondre la semaine suivante. Aujourd’hui, les bénéficiaires nous connaissent et nous attendent le mardi soir sur notre itinéraire. Ils savent qu’ils peuvent compter sur nous et qu’ils obtiendront de l’aide ainsi que des vivres. Ce temps de maraude est aussi significatif pour eux car il permet, pendant quelques instants, de pouvoir discuter avec des gens et ainsi de rompre leur isolement.
Grâce à nos partenaires, notamment de nombreux restaurateurs, nous sommes heureux de pouvoir fournir des repas de qualité, qui plus est adaptés aux régimes alimentaires de chacun.
Quel est ton rôle au sein de l’association ?
Je suis Président fondateur d’Ô Coeur de la Rue. Concrètement, je m’occupe aujourd’hui de toute la partie organisationnelle extérieure et je chapeaute les différents projets, tandis qu’Anissa, Vice-Présidente de l'association, s’occupe de la partie opérationnelle, de la gestion des projets et des équipes. Mon rôle, c’est aussi de communiquer auprès d’autres dirigeants d’associations afin de créer des dynamiques organisationnelles inter-associations, et d’agir à plus grande échelle. Par exemple, nous avons déjà eu l’occasion de préparer des colis de maraudes spécialisés pour des femmes battues logées dans des hôtels protégés de la Région. Les victimes reçoivent des ressources provenant de diverses organisations caritatives dont Ô Coeur de la Rue fait partie.
Enfin, en tant que Président, je veille à maintenir les équipes soudées, à organiser des assemblées générales annuelles, ou encore à mettre en place des formations…
C’est quoi, le quotidien d’un bénévole ?
Le quotidien d’un bénévole est extrêmement riche : on fait des rencontres, on découvre le plaisir ultime d’aider et de se sentir utile, on échange avec des gens formidables… Par exemple, j’ai été marqué par l’une de mes rencontres avec un sans-abri que je connais depuis plus de 6 ans. Un jour, alors que je lui proposais du café lors de la maraude hebdomadaire, il s’est approché de moi et m’a tendu un billet de 10 euros : « Utilises ça pour aider les autres. C’est le plus gros billet que j’ai eu ! » m’a-t-il dit. Je l’ai trouvé fou. J’étais complètement halluciné à la fois par son action solidaire, alors que cet homme était lui-même dans une situation très précaire, mais aussi par son humilité, car il ne cherchait absolument pas à vanter son geste. Des anecdotes de ce type, j’en ai des centaines en tête ! Je suis d’ailleurs en train de rédiger un rapport d’étonnement, dans lequel je recense les 7 ans d’humanitaire faits dans ma vie et les souvenirs que je garde de ces expériences.
Quel est le profil type des bénéficiaires que tu rencontres en maraude ?
Il y a beaucoup de clichés sur les sans-abri qui sont notamment véhiculés par les médias. Dans la rue, on croise bien entendu des personnes qui ont fait des erreurs, notamment d’anciens prisonniers, mais j’ai aussi vu d’anciens militaires, des immigrés qui ont fui des conflits ou la guerre, des chefs d’entreprise qui ont tout perdu, des personnes qui ont été brisées par la vie, et bien sûr beaucoup de gens très cultivés, parfois polyglottes, et très intéressants. À mon sens, ces gens-là sont dans la rue car ils ne parviennent pas à adhérer à notre système. Quand ils se retrouvent dans une situation délicate, où le système les pousse à tricher, à être un peu égoïste et pas tout à fait honnête, ils préfèrent se retirer que d’adhérer à ces codes-là.
Enfin, aujourd’hui il y a également beaucoup de personnes victimes de la crise du Covid-19 qui se retrouvent à la rue : des gens qui ont démarré un business au mauvais moment et ont contracté des crédits très importants par exemple.
Il faut comprendre que ces gens-là sont souvent confrontés à un manque profond d’humanité : ils s’inscrivent dans le décor urbain et ne sont souvent même plus remarqués par les passants. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’égoïsme, mais plutôt d’un mécanisme de défense : notre cerveau occulte cette misère qui nous inquiète et nous fait du mal. En maraude, notre rôle est de changer cette tendance-là, et discuter avec ces gens pour rompre l’isolement, leur apporter un peu de réconfort et leur permettre de se sentir considérés.
Quelles sont tes ambitions pour l’association ?
Aujourd’hui, l’association Ô Coeur de la rue a surtout besoin d’un « noyau dur ». Si nous avons la chance d’avoir plus de 230 bénévoles, la plupart ne peuvent pas se rendre disponibles souvent et leur implication est assez disparate. On remarque également que les présences augmentent en hiver car le froid accentue l’empathie chez les gens, mais un bénéficiaire a des besoins qui évoluent tout au long de l’année !
Dans un système associatif, c’est très difficile de garder une constante et une stabilité et c’est ce que nous cherchons aujourd’hui : des bénévoles qui restent motivés et disponibles sur le moyen / long terme pour mettre en place des actions et accompagner les bénéficiaires à chaque saison.
Enfin, mon ambition pour l’association est aussi bien sûre de continuer à nous développer pour atteindre notre objectif ultime : aider toujours plus de personnes.
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